Mathilde, Uruguay

Une présence profonde et silencieuse

Aux côtés de Juan Manuel qu’elle doit accompagner dans tous ses gestes, Mathilde découvre l’intensité et la qualité de la présence gratuite.

“Rien de ce que fait Dieu ne fait de bruit. Rien n’est violent : tout est délicatesse, pureté et silence” Cardinal Sara.

Voilà pour moi une phrase qui résume Juan Manuel, sa présence profonde.

Pendant cinq mois, j’ai eu le privilège de prendre soin de lui, de le connaître petit à petit. Peut-être qu’il aurait pu en dire autant ou plus même. Mais Juan Manuel ne pouvait ni bouger, ni s’exprimer. Un petit travail qui est devenu pour moi une école d’attention, de présence et de gratuité.

Juan Manuel, j’ai entendu parler de lui depuis mon arrivée à Montevideo. C’était un jeune avocat et député, promis à une belle carrière. Il était aussi récemment marié et père d’un petit garçon de quelques mois. En juillet 2015, il a été fortement frappé par un AVC, et est resté vivant un peu par miracle, en plusieurs occasions. Et finalement, après un long chemin dans les hôpitaux, il est installé chez ses parents qui le prennent en charge complètement, aidés par de nombreux soignants qui se relaient auprès de lui. Certains des garçons de ma communauté le visitèrent et finalement, il y a deux ans, je fais moi aussi connaissance de lui et de sa maman. Et depuis octobre jusqu’en mars, j’allais chaque dimanche après-midi jusqu’au lundi matin auprès de Juan Manuel.

Il m’est demandé surtout de faire très attention, de prendre soin de lui comme d’un trésor, et puis, de stimuler ses bras, ses jambes immobiles… Faire très attention, ce n’est pas toujours mon fort ! Et bizarrement, dans ce calme et cette lenteur, il m’est devenu plus difficile encore d’être totalement présente. Chaque geste que je faisais, était mon geste, mais aussi celui de Juan Manuel. Il s’agissait de tout faire avec lui, en l’incluant toujours à l’intérieur de mon propre geste, même s’il ne répondait pas…

C’était 18 heures chaque semaine à ses côtés, pour accomplir pour lui tous les petits gestes de la vie quotidienne. Et puis lui tenir compagnie : une mystérieuse compagnie puisque apparemment, Juan Manuel ne pouvait manifester ni son attention, ni son approbation ou désapprobation… Dans la maison de Juan Manuel, il y avait beaucoup de silence, comment l’habiter de ma présence et de sa présence silencieuse ?

Une fois, j’étais avec mon téléphone à côté de son lit. Tout d’un coup, je lève les yeux et je le vois me regarder fixement, comme me disant : “Je suis là !”. Je priais doucement à côté de lui, le recommandais au Père avant qu’il ne s’endorme. Je lui lisais des articles, surtout sur des thèmes politiques ou d’actualités puisque c’était sa passion et son quotidien. Ou bien je lui décrivais les mouvements de sa maison ou les résultats de son équipe de foot préférée…

Il n’y avait jamais rien pour “quantifier ou qualifier” l’attention, l’amitié que je lui donnais, sinon la mesure de ma propre conscience. Juan Manuel ne me réclamait rien, mais mon cœur, si… est-ce que je suis vraiment là à ses côtés ? C’est la question que je peux me poser face à chaque ami ou à ma communauté, mais Juan Manuel n’exigeait rien, me laissait libre de le regarder ou pas, de lui parler ou pas, de prendre soin de chacun de mes gestes envers lui, ou pas…

Voilà. Juan Manuel est maintenant en paix, je crois que sa maman aussi même si elle aurait tant voulu que son fils lui soit redonné. J’espère avoir appris un peu à ses côtés et le connaître mieux un jour.