Señor Ruben
Catherine nous raconte sa joie de retrouver Ruben, bien confortablement installé sur le canapé du Points-Cœur, signe qu’il se sent chez lui !
Chut, il ne faut pas faire de bruit en rentrant à la maison (même si Monika et moi débordons d’enthousiasme parce qu’on vient d’acheter trente œufs et que c’est vraiment la fête !) Il ne faut pas faire de bruit parce qu’il est là. Il dort sur le canapé, le Señor Rubén. Le Señor Rubén qui répète à qui veut l’entendre qu’il « n’aime pas dormir dans la journée ». Le Señor Rubén qui vient de plus en plus fréquemment ces temps derniers, reposer sur notre sofa ses quatre-vingts ans fatigués de tant de travail, ses quatre-vingts ans tout fourbus et son dos tout tordu qu’il continue à promener au Mónaco où il passe toute la matinée assis sur un muret à vendre ses jabas (sacs plastiques) et ses tabbaccos (cigares). Quand je le vois marcher avec sa canne et son sac trop lourd, je me dis que c’est de la folie. À son âge !
Drôle de grand-père qui vient prendre un peu de frais et un peu de paix dans notre maison. Il faut beaucoup insister pour qu’il s’assoit à notre table pour le déjeuner afin qu’il n’ait pas l’impression de déranger (je vous avais parlé de lui dans une précédente lettre et de mon désir que se renoue l’amitié : Señor Rubén avait été très offensé par une fausse rumeur selon laquelle les filles de Points-Cœur l’accusaient de ne venir que pour se faire inviter à manger). Je crois que la confiance se rétablit doucement (il veut nous lire ses poèmes !), même s’il garde le cœur lourd d’avoir passé son anniversaire seul en janvier. C’est un homme très seul, le Señor Rubén. Nous ne pouvons pas faire beaucoup pour lui, mais notre maison est sa maison. Et je suis infiniment heureuse lorsqu’il pense que notre maison est là pour reposer sa fatigue et sa solitude, parce que nous n’avons pas d’autre raison d’être ici !