Clément, Autriche

Sandro

Après dix-huit ans, père Clément retourne sur les pas de sa première mission en Equateur. Il y retrouve Sandro qui lui permet de contempler les fruits de la longue amitié avec les volontaires du Points-Coeur.

Il avait douze ans, déjà un petit d’homme, le regard souvent noir et triste, plongé trop tôt et violemment dans le monde des adultes. Il aimait nous visiter même s’il avait du mal à entrer en relation avec les autres enfants, il aimait encore plus recevoir notre visite, car alors l’atmosphère de sa maison s’adoucissait quelques minutes. Sandro faisait partie de mes « préférés », peut-être parce que l’amitié entre lui et Puntos-Corazon a plus ou moins commencé avec moi, que nous avons passé quelques moments privilégiés, qu’avec lui la première et certainement l’unique partie de rugby a été organisée dans notre quartier.

Je désirais beaucoup le revoir, sans savoir s’il serait encore là, s’il entretenait toujours un lien avec la famille Puntos-Corazon sur place. Quand j’ai demandé aux volontaires en arrivant s’ils connaissaient Sandro, deux jours après nous étions chez lui pour le dîner. Sandro nous reçut avec sa femme et ses deux magnifiques enfants, dans une maison très digne malgré la pauvreté du quartier et le peu d’éducation reçue de ses parents. Quelle ne fut pas ma surprise de voir ce colosse (il est devenu adepte de musculation) balafré (il a gardé une séquelle sur le visage et l’œil d’une blessure de jeunesse) faire le service avec sa femme, jouer avec son petit garçon, mettre en valeur les résultats scolaires de son aînée, nous conduire dans la cour pour nous montrer la belle moto avec laquelle il se rend chaque jour au travail dans une grande usine agro-alimentaire ! Plus stupéfiant encore fut le moment où il se mit à énumérer les nombreux souvenirs de son enfance en notre compagnie : « Te acuerdas cuando viniste en mi casa para el cumple de mi hermana ? » (Te souviens-tu de ta visite chez moi pour l’anniversaire de ma sœur ?). Bien des fois, j’ai dû répondre par une moue, un peu gêné d’avoir laissé ces souvenirs communs s’échapper de mon esprit. Des souvenirs si précieux pour lui qu’il est en mesure de leur redonner vie dix-huit ans après comme s’il s’agissait de la veille. Quelle scène que Sandro, âgé à nouveau de douze ans, partageant en présence de sa femme, ses enfants, des volontaires qui m’accompagnaient et qui à l’époque des faits étaient encore en maternelle, racontant son histoire avec Points-Cœur. Et votre pauvre serviteur devenu prêtre, trop heureux d’asperger d’eau bénite ce petit frère devenu père, sa famille, sa maison, et bien sûr sa moto !