Provoquer la liberté de Marta
Par une simple proposition à une soirée film, Amélisse fait l’expérience de la liberté de l’autre, d’être à la porte du sanctuaire sacré de Marta.
Marta est la fille aînée d’une famille de quatre enfants : Giovanni, Maria et Matteo. Ils vivent avec leur maman, Anna, au rez-de-chaussée d’un vieil immeuble en ruine, à quelques pas de chez nous.
Un jour, Marie (volontaire) est rentrée en nous annonçant qu’elle avait croisé Marta et sa cousine dans la rue : elles voudraient venir voir un film au Point-Cœur. On leur a proposé de venir un samedi soir, enthousiastes à l’idée de les rencontrer un peu plus et de leur permettre de laisser leurs responsabilités de côté pour quelques heures. Marta a eu du mal à se décider car elle savait que sa maman allait avoir besoin d’elle. « Oui, je veux venir » mais « Non, je ne viendrais pas ». Pourquoi ? « Je ne sais pas… ». Alors ? Face à son hésitation, nous ne savions pas trop si cela se ferait.
Le soir venu, on était tenté de laisser tomber, n’ayant pas eu de réponse claire. C’est alors qu’il a fallu dépasser l’absence de motivation et faire confiance à l’intuition de Marie : elle était convaincue que notre proposition valait le coup, que ça leur ferait du bien ! Alors allons-y, peut-être que sur le moment, il y aura moins de place à l’hésitation : « Veux-tu venir voir un film, maintenant ? ». Dans leur maisonnette, au milieu de l’agitation des frères, des sœurs et des cousins, Marta était assise sur une des chaises, oscillant entre l’envie et la gêne, le regard fuyant. Tous voulaient venir à sa place. « Mais toi, tu veux venir ? ». C’est alors qu’elle m’a regardée droit dans les yeux pour me répondre : « Moi ?… ». A cet instant, je l’ai sentie pleinement présente et profondément consciente de sa personne. Il m’a semblé toucher quelque chose de sacré, j’étais comme toute petite, à la porte de son jardin intérieur. Toute notre artillerie d’arguments pour la convaincre de venir devenait inutile… comme en suspension dans l’air. C’était à son tour maintenant.
Elle a baissé les yeux et, en regardant son cousin, elle a affirmé : « Mon choix est non ». Alors j’ai compris et, dans le secret de mon cœur, j’ai abdiqué. J’étais face à sa liberté que nous étions venues provoquer. Nous avons joué et passé encore un peu de temps avec eux simplement, sans chercher à forcer le passage. Dans le froid de la nuit, nous sommes rentrées au Point-Cœur comme deux petites lucioles. Ce « non » pourrait sembler un échec car notre proposition est tombée à l’eau. Pourtant, nous nous sommes approchées avec l’intuition de faire une proposition qui la ferait grandir, et je crois que ça a été le cas. Finalement, ne grandit-on pas au fur et à mesure que l’on pose de vrais choix ?