Marion, Pérou

Lili ne vit pas seulement de pain

Marion nous raconte cette amitié si simple et si inattendue avec Lili, et se laisse ainsi bousculer sur la raison d’être de sa présence dans le quartier de la Ensenada.

Avec Lili, nous vivions toujours des rencontres très simples, brèves bien des fois, mais elle savait exprimer sa reconnaissance. Bien des fois, je l’ai invitée à passer au Point-Cœur, mais, comme beaucoup de Péruviens qui ne savent pas dire non, elle me disait oui mais elle n’est jamais venue.

Une semaine avant mon départ, j’espérais pouvoir la revoir pour pouvoir passer un moment avec elle avant de lui dire au revoir. Ce jour-là, j’avais préparé du lait et des petits pains avec du fromage pour partager un lunch avec elle en fin d’après-midi, en espérant la trouver chez elle… En commençant à monter le chemin escarpé qui conduisait à sa maison, j’ai soudainement décidé de faire un détour pour changer. Et un peu plus loin, je l’ai croisée providentiellement chargée de sacs remplis de plastique à recycler et de grosses bouteilles d’eau, alors qu’elle se dirigeait justement vers chez elle. Nous sommes alors montées toutes deux lentement, portant l’eau dont elle avait besoin pour cuisiner et laver son linge, continuant à ramasser quelques bouchons et bouteilles en plastique qu’elle pourrait revendre. Puis, assises sur les marches devant chez elle, nous avons commencé à discuter. Lorsque je la croisais, elle me disait souvent : « Hermana, que milagro… ! » (Quel miracle). Oui, chaque rencontre avec Lili était pour moi aussi un miracle inattendu. Et encore aujourd’hui, elle s’étonnait que j’ai eu l’intention de lui rendre visite. Je lui offre l’un des pains que j’avais préparé et un verre de lait. Mais elle le prend sans y porter beaucoup d’attention. Elle me dit qu’elle avait été malade, et qu’elle était restée couchée sans rien manger pendant trois jours. Et pourtant, elle peine à prendre une bouchée de pain, qu’elle met vite de côté. Mais elle commence à me parler de sa sœur qui est hospitalisée, pour laquelle elle se fait beaucoup de soucis. Je l’écoute silencieusement et je lui propose de prier pour sa sœur, et nous récitons ensemble une dizaine du chapelet. Et elle me parle ensuite de sa vie, de ses souffrances, de sa solitude, dans une grande confiance comme jamais elle ne l’avait fait auparavant. Et je l’écoute, la regarde, contemple son visage, voyant aussi la ville immense de Lima s’étendant sous nos yeux sous la lumière du crépuscule…

« Vous ne comprenez-pas encore ? » (Mc 8, 21) N’ai-je vraiment rien compris ? Après dix-huit mois de mission, n’ai-je encore rien compris de ce que Dieu attendait de moi ? Face aux conditions de vie de Lili, à son visage marqué et son petit corps frêle et amaigri, j’ai toujours été tentée de vouloir lui donner quelque chose. Mais aujourd’hui, Lili me montrait que ce n’était pas ce qu’elle attendait. « L’homme ne vit pas seulement de pain ». Elle attendait juste que je vienne la rejoindre dans sa solitude, dans sa vie simple, et que je m’asseye un instant à ses côtés pour partager un moment d’amitié.