Le cœur de pauvre de Lucho
Louis-Marie nous partage ici une de ses dernières rencontres dans la prison de Valparaiso, de cet ami Lucho si reconnaissant pour la visite des volontaires, pour leur amitié si gratuite et si désinteressée.
J’ai rencontré Lucho dans un des ateliers de menuiserie de la prison. Une quarantaine d’années, les cheveux gris, un large sourire, des grosses mains calleuses d’artisan, c’est un grand type costaud et toujours disposé à discuter autour d’un maté. À la suite d’une enfance difficile et de ses premiers déboires dans les bandes de délinquants, il a purgé sa première peine à seize ans dans la prison des mineurs. Il a ensuite passé un an dans « la rue » et il a été à nouveau condamné à vingt-sept ans de réclusion. Dans un premier temps, il était révolté contre la vie en général et son comportement violent lui valait d’être logé dans les modules les plus compliqués et d’être régulièrement enfermé dans les cellules d’isolement. Il me résumait : « Tu ne peux pas savoir à quel point on souffre ici. C’est un lieu dur et brutal. Ici, on te vole ton droit à pleurer. » Puis, les années passant, il a réussi à être transféré dans les modules de bonne conduite et obtenir un travail dans un des ateliers. Ainsi il peut envoyer un peu d’argent pour aider sa famille, ce qui est devenu d’autant plus urgent depuis que sa femme a récemment subi de lourdes opérations au cerveau tandis que ses deux fils sont autistes Asperger et que sa fille se perd dans la drogue.
Lors de l’une de mes dernières visites, il m’a fait cette déclaration que je ne suis pas près d’oublier : « Luis, je n’ai vécu que quelques mois en liberté depuis que j’ai 16 ans et j’ai eu seulement le temps de rencontrer ma femme et d’avoir trois enfants. Ça fait presque 20 ans que je suis détenu et ma femme et mes enfants continuent à m’aimer, à me visiter et à me dire qu’ils m’attendent. Ce n’est pas normal. Ces choses-là n’arrivent pas naturellement. Cela veut dire que Dieu attend encore quelque chose de moi. C’est pour ça que je me lève le matin, que je garde l’espérance et que je travaille dur à l’atelier. » Il aurait pu crier contre l’injustice ou contre Dieu pour sa vie détruite passée sous les verrous. Mais au contraire, il accueillait comme un pauvre la grâce de l’amour de sa famille et cela donnait un sens à sa vie. Cet homme travaille et il sait pourquoi. D’une certaine manière, il est libre au milieu de la pire prison du Chili.
Au moment de nous séparer, et après que tout l’atelier m’ait couvert de cadeaux d’artisanerie, Lucho a gardé ma main dans la sienne pendant une vingtaine de minutes en me disant : « La psychologue qui suit mon dossier refuse de regarder ma bonne conduite pour envisager une liberté conditionnelle, parce que mon cas est médiatique et qu’elle ne veut pas risquer sa carrière. C’est déshumanisant d’être regardé seulement à partir ce que j’ai fait de mal. Toi, au contraire, tu es venu avec un grand respect pour nous écouter. Ici, on se noie dans la boue (pour rester courtois). Je rends grâce à Dieu d’avoir mis sur ma route des gens comme toi qui regardent ce qu’il y a de pur dans les personnes. »