Marie, Argentine

La force de la foi

Malgré les blessures de la vie et de l’alcool, Rodrigo est édifiant par la solidité de sa foi et son humilité à demander de l’aide aux volontaires dans les moments difficiles.

« Hello, five minutes please ! ». Ces quelques mots baragouinés en anglais avec un fond d’accent argentin, viennent de Rodrigo. Rodrigo, assis comme toujours dans le même recoin de rue, les grands yeux bleus brillants, trop brillants, par l’alcool qu’il a consommé tôt ce matin. Il aime parler anglais en souvenir d’un ancien volontaire américain qui le lui avait appris. C’est sa manière à lui de nous rencontrer, nous les étrangers. C’est aussi mettre un voile sur sa propre souffrance, comme pour imposer une distance avec la force des mots, pour qu’ils ne résonnent pas trop forts. « I’m lonely… I am afraid … I am crazy », nous dit-il parfois.

Rodrigo a une cinquantaine d’années, il a un fils et vit chez son ex­‐compagne qui a refait sa vie avec un autre. Étrange et douloureuse situation qui le confronte quotidiennement à la douleur de voir celle qu’il aime avec un autre. Alors, il fuit et passe sa journée dehors et va noyer sa douleur dans l’alcool. Rodrigo est un sensible au grand cœur, qui ne se fait pas toujours respecter par les habitants du quartier.

Son histoire l’a beaucoup abîmé : alors qu’il avait quatre ans, ses parents sont tués pendant la période de la dictature militaire en Argentine. Il est adopté. Il a grandi, il s’est construit sur de vives blessures. Alors, bien sûr, ça l’a rendu fragile, et il est allé très vite apaiser ses blessures, le temps de quelques verres, quelques bouteilles, juste pour anesthésier la douleur, juste pour ne plus la voir. Elles reviendront oui, mais le temps d’une soirée elles sont comme évaporées. Et puis, de verre en verre, de bouteille en bouteille…

Rodrigo n’a pas peur d’appeler à l’aide, de se confier à nous. Quand nous le croisons dans la rue, il exclame soudainement quelques mots en anglais, comme s’il s’accrochait désespérément à une bouée de secours. Alors, nous venons nous asseoir à ses côtés, nous lançant dans une conversation « mi-­anglaise, mi-espagnole », « mi-­personnelle, mi-humoristique ». A chaque fin de conversation, il nous prend par la main et nous demande de prier le « Notre Père », comme ça, au milieu de la rue, sous le regard étonné des passants. Un jour, affamé, il vient frapper à notre porte. Nous lui servons un repas… Alors que je pensais qu’il allait se jeter sur la nourriture, il prend le temps de faire un bénédicité : « Seigneur, je te remercie pour ces aliments et je te confie ces volontaires qui ont plus besoin de ton aide que moi. » Je reste bouche bée à ces mots, malgré sa misère, il garde un amour et une confiance dans le Père qui me chamboule.