Mathilde, Uruguay

Deux mondes

Mathilde nous fait part de cette rencontre entre deux amis de PC, deux amis qui ne se connaissaient pas jusqu’alors, de deux mondes qui se traversent le temps d’un après-midi passé ensemble.

Il y avait Cécilia, qui vient des beaux quartiers. Il y a trois ans, nous étions allés dans sa paroisse : en nous entendant elle avait alors voulu prendre contact avec nous mais elle n’avait pas osé. Et voilà qu’il y a un mois, lors d’une messe chez les sœurs de Mère Teresa, où elle vient pour aider, elle nous retrouva toute étonnée et joyeuse ! Depuis, elle est déjà venue déjeuner à la maison avec des amies, a accepté ce jour-là notre invitation et s’est engagée à nous aider à vendre nos tickets de tombola.

Et puis il y avait Jonatan. Jonatan a dix-huit ans. Il est sorti cette année du système de foyer d’enfants où il a vécu de nombreuses années de sa vie à différents moments. Il est le fils aîné de Mary dont je vous avais longuement parlé. Nous avions connu cette famille à peine nous nous installions dans notre premier quartier. Mary venait tout juste de récupérer ses enfants qui lui avaient été retirés par les services sociaux. Le temps de répit fût de courte durée. Petit à petit, de grandes difficultés apparurent dans la famille, conséquence d’une vie bien difficile pour chacun. Un par un, les enfants repartirent vivre en foyer, sauf Jairo le petit dernier qui est parti vivre au début de cette année avec sa grand-mère en Italie.

Mary est décédée peu après, avant ses quarante ans. Malgré sa santé, son addiction à la drogue, son retour à la rue, la perte de ses enfants, Mary n’avait pas complètement abandonné, baissé les bras. La vie continuait à battre en elle et sa force, son visage, nous impressionnaient. Jonatan fût celui avec qui nous avions le moins de contact (nous visitons Milagros et Valentina dans leur foyer respectif). Mais je l’ai cherché pour lui annoncer la mort de sa maman. Depuis ce moment, je ne cesse de me demander où cela nous mènera et quelle est ma responsabilité envers chacun d’eux.

Jonatan a accepté l’invitation sans difficultés, sans avoir aucune pratique de la religion. Il était là, si différent des autres, le plus jeune et le seul garçon (à part Antonius) avec toutes ses peurs et ses peines (il se servait de son masque pour se cacher des passants). Lorsque nous sommes arrivés, fatigués, à la cathédrale, et que nous partagions le goûter, je m’approchai de lui. Il commença alors à parler sans plus s’arrêter, jusqu’au moment où je fus obligée de monter dans le bus. Jonatan nous ouvrait son cœur de part en part, en pleine confiance, sans aucune honte.

Même si nous sommes restés un long temps éloignés de lui, tout ce que nous avons vécu au sein de cette famille, a formé dans le silence un lien étroit. Cela m’impressionne et me dépasse et je m’interroge sur la suite de cette amitié. Jonatan, lui, sait que je connais toutes leurs histoires et il n’a pas honte, au contraire. Plus encore, il nous raconte pour la deuxième fois les deux vols qu’il a fait. Il semble que cela pèse lourd dans son cœur.

Chaque visite à cette famille est intense, monopolise toute notre présence, me demande toujours bien davantage de ce que je semble capable de donner ou d’offrir. Peut-être est-ce pour cela qu’eux, spécialement, me rappelle ce pour quoi je suis là, réveillent mon cœur lorsqu’il s’endort, ravive la faible lumière de la foi et paradoxalement me remontre la beauté des cœurs humains et me font lever de nouveau les yeux vers le Ciel.

Ce jour-là, lorsque nous sommes arrivés avec Béa au point de départ de notre marche, nous avons trouvé Cécilia assise aux côtés de Jonatan et prise dans une grande conversation. Deux mondes se rencontraient pour un instant. Et Cecilia qui veut tant aider recevait dans son cœur les confidences de Jonatan qui manque tant d’adultes pour le guider.