Mathilde, Uruguay

Cintia top modèle de Dieu

Mathilde nous présente Cintia, en Uruguay, qui malgré la muraille forgée par les ombres de la drogue, de l’alcool et de la violence, révèle la véritable beauté de son cœur.

Une femme blonde et jolie qui aurait pu prétendre à une carrière de mannequin dans un autre monde. Son corps, haut et mince, elle l’expose aux yeux de tous, comme une provocation, un cri et à la fois une barrière. Il est le livre ouvert de sa vie : des noms tatoués ici et là, celui de sa fille et d’hommes ou de femmes qui ont accompagné un bout de sa vie; ses bras sont marqués par les nombreuses coupures qu’elle s’est infligée; sur son ventre aussi, signe de sa maternité blessée à mort. Lorsque nous avons connu Cintia, elle nous faisait peur, elle régnait, debout, au milieu de son quartier avec son cousin que nous savions armé. Elle ne répondait presque jamais à notre timide salut.

Un jour, il s’est passé quelque chose. Alors que nous visitions la Costanera et conversions avec Zulema, j’entendis des tirs. Nous restions là, mais après un petit moment, Cintia qui était tout près, nous dit de nous en aller. Les premières paroles de Cintia à notre encontre furent pour nous protéger.

Ensuite, nous avons connu Luciana, sa très jolie petite fille, très vive. Luciana aime apprendre, rire, jouer, courir, bref, la vie déborde en elle. Lorsque nous sommes là, elle demande toute notre attention et nous entraîne à sa suite. Je me souviens de ces deux vendredis Saints, où nos petites filles les plus terribles et hyper actives, accompagnèrent le chemin de croix d’un bout à l’autre du quartier. Luciana, était l’une d’elle. Celles qui avaient le plus souffert, trouvaient spontanément leur place à côté de ce Jésus innocent, porté sur la croix…

Petit à petit, je commençai à connaître la famille de Cintia et à comprendre mieux qui elle était : la cousine de Karen, cette amie dont je vous ai parlé il y a un an, lorsqu’elle perdait son frère, une famille rongée par le trafic de stupéfiants. Puis, j’ai connu Cintia se droguant et j’ai connu Cintia se disputant avec Karen en pleine rue alors qu’elle avait volé chez elle les vêtements de son bébé pour se droguer. Lors d’une des rares visites à sa maison, elle m’a un peu raconté sa vie : un bébé décédé à cause de la drogue, une petite fille adoptée qui ne veut plus la voir… Elle m’a parlé de sa foi immense, de sa passion pour la lecture des psaumes qu’elle dévore dit-­elle, comme une assiette pleine de nourriture, de son désir de sortir de la drogue et de donner une bonne vie à sa fille, Luciana.

Et puis, est arrivée cette rencontre incroyable avec Selene. Nous étions dans ce bout de rue où s’installent ceux qui se droguent. Il y avait là un homme, à moitié assis et une fille haute, blonde et peu vêtue avec des lunettes de soleil noires. Je les salue. Elle me répond et nous demande un chapelet pour l’offrir au cimetière, à son frère décédé. Nous nous arrêtons, l’écoutons, mais n’avons pas de chapelet à lui offrir. Alors elle me dit de but en blanc : «Toi, tu es déjà venue dans ma maison». Et moi de lui répondre en question : «Cintia?». Je n’étais pas sûre, elle était si maigre… il y avait une bonne distance entre nous.

Elle commence à parler petit à petit et finalement, des larmes coulent… Elle nous dit aussitôt de ne pas dire à sa cousine, Karen, que nous l’avons vue pleurer. Elle, si forte, entourée de cette muraille qui impressionne et la protège. Je me rapproche chaque fois un peu plus. A un moment, elle se recule contre le mur, baisse la tête et se tait. Je me rapproche alors complètement et je la prends dans mes bras. Elle me sert fort aussitôt. Nous parlons de nouveau, elle se confie nouvellement puis : « Cela ne vous embête pas si…» Je comprends: « Oui nous partons, Cintia ». C’était trop pour son cœur blessé. Nous offrons à Cintia et à l’homme présent pendant tout ce moment un Tupperware plein de pizza que nous avions avec nous.

Heureux, ils acceptent et nous nous préparons à continuer notre chemin mais alors Cintia me demande un abrazito en plus. Je ne m’attendais tellement pas à cela : elle me supplie timidement de la reprendre dans mes bras. Elle, qui semble régner sur tous, qui ne veut pas qu’on la voit pleurer et qui vient de nous demander de partir… Elle fait trembler mon cœur, mais ce n’est plus de la crainte maintenant. Cintia se rend, vaincue, si faible et je ne sais pas qui de nous deux se sent la plus petite en cet instant.

Nos vies si éloignées l’une de l’autre se sont rejointes. Elle me laisse partager sa douleur. Combien de tristesse et de culpabilité porte-­t-­elle dans son cœur : ses enfants, sa vie, un poids immense, comme sans fond, et au milieu de tout ça, la beauté de son cœur me touche tant. « Le sacré est ce devant lequel il est nécessaire de se mettre à genoux. »

Et voici la dernière rencontre avec Cintia. Il y a quelques semaines, alors que nous visitions peu à cause de la pandémie, nous avions quand même décidé de retourner à Lavalleja, notre premier quartier, pour aider notre ami Pablo à chercher les médicaments dont il avait besoin. Nous avions donc récupéré chez lui les papiers nécessaires et sortions du quartier. Arrivés à un coin de rue, j’explique à Etienne que nous trouvions toujours là nos amis qui buvaient ou se droguaient, Pablo justement que nous aidions était souvent l’un d’eux. Et voilà que quelqu’un saute du banc à notre vue et se dirige vers nous, Cintia, que je n’avais jamais vue dans cette partie du quartier. Elle s’exclame: « Vous êtes des anges envoyés par Dieu ! ». Cintia connaît déjà Etienne : il y a peu, nous avions eu une belle visite, non prévue, dans la maison de la maman de Cintia, Elvira. Etienne y avait longuement joué avec Luciana. Les rencontres avec Cintia sont toujours données, les programmer n’a jamais fonctionné, ni elle ni nous ne nous y préparons mais… elles sont toujours toujours au juste moment.

Ce n’était pas notre plan de tarder en chemin ce jour-là, cependant… nous nous asseyons aux côtés de Cintia. Et petit à petit, elle raconte: la veille elle s’est battue très fort avec une femme puis avec un homme. Elle nous montre son corps cogné et douloureux, partout… Ils ont porté plainte et voilà que la police est arrivée chez elle pour la sommer de se présenter au poste. Dans sa maison, Cintia convulse (elle souffre d’épilepsie) et est emmenée à l’hôpital. Elle se laisse difficilement touchée pour être soignée, alors ils l’endorment un peu. Elle s’en rend compte et finalement, arrache tout et s’en va. Il fait nuit, elle est désorientée, marche en sens inverse puis finalement retrouve son quartier, titubante et faible… Puis ce matin, comme chaque matin, Cintia a accompagné sa fille à l’école pour chercher le déjeuner donné chaque jour en ce temps spécial. Elle lui a donné 20 pesos pour qu’il ne lui manque rien, puis avec 20 autres pesos, elle s’est achetée du vin dans une petite bouteille de plastique, pour éviter de se droguer (cela fait deux mois).

Cintia s’est éloignée de sa maison et s’est assise là, pour noyer son chagrin, sa peur et sa désespérance. C’est à ce moment-là que nous la rencontrons… Et elle nous répète, « Vous êtes des anges envoyés par Dieu, je sais que vous aussi vous avez vos problèmes, tout le monde a ses problèmes, pourtant, vous êtes là maintenant assis à côté de moi ». Elle a peur de retourner en prison, elle ne veut plus rien savoir de cette drogue qui lui fait du mal, elle voudrait tellement récupérer le mal fait aux deux enfants qu’elle a perdu. Elle redit à Etienne ce qu’elle m’avait raconté un jour: « Les psaumes sont une nourriture, une assiette pleine, lorsque j’étais en prison et que je n’avais rien à manger, les psaumes me nourrissaient, Dieu m’accompagne toujours ». Elle regarde encore Etienne et lui dit en souriant qu’un jour, il devra lui enseigner ce jeu qu’il a appris à sa fille l’autre jour chez elle. Puis elle nous dit: « Je voudrai disparaître, traverser vite la route, mais je ne le fais pas, car il y a quelqu’un qui m’aime et que j’aime, Luciana, je vis pour elle, je m’efforce pour elle ». Il y a tant de vérité et de sincérité dans sa voix. Elle lutte, de toutes ses forces contre ce qui l’assaille. Nous devons partir, je lui dis et Cintia me répond: « Ok, mais prends-moi dans tes bras d’abord ». Oh Cintia, je suis si incapable de te consoler, de remplir ton cœur percé et blessé de toutes parts, comme ce corps que tu montres au grand jour.

C’est le cœur chargé que nous te quittons Cintia mais ton sourire parle d’amitié, d’un peu d’espérance et d’or partagé. Quelque chose en toi brille, inexorablement au milieu des plus grandes ombres.