Catherine, Cuba

Bâtisseur d'amitié

Catherine nous présente dans cet extrait deux visages, deux amis à travers lesquels elle découvre sa propre mission.

Ce dimanche, je m’éclipse à la sortie de la messe ; je suis de permanence, c’est-à-dire que c’est à moi de cuisiner matin, midi et soir. Coup de sonnette : le Señor Ariel, un jus de mangue à la main. Il a facilement soixante-dix ans, les cheveux tout blancs, un regard vif et, au vu du cours de géographie que cet ancien professeur d’université nous a offert lors de sa précédente visite, je pense qu’il a encore toute sa tête ! Il y a un peu de gêne tandis que je l’invite à s’asseoir. Je suis obligée de lui faire répéter plusieurs mots que je ne comprends pas bien. Il vient demander s’il peut utiliser notre téléphone pour appeler son fils qui est à l’étranger. Katheryn et Dulcina (mes sœurs de communauté) arrivent. Leur visage s’illumine d’enthousiasme en voyant le Señor Ariel. Tandis que je retourne à mon poulet qui a partiellement brûlé, la conversation s’anime. Est-il gêné de demander ou a-t-il oublié le service qui avait d’abord motivé sa venue ? Ce n’est qu’après 45 minutes d’échanges et de rires que j’entends depuis la cuisine des manipulations téléphoniques. Entre temps, l’orage a éclaté et les plombs ont sauté. Je poursuis la cuisine à la lampe du portable un rien tendue. Il n’est plus question que le Señor Ariel rentre chez lui pour déjeuner. Les compliments sur la qualité du repas me semblent largement exagérés mais la gêne a disparu lorsque je le raccompagne finalement au portail. Il ne cesse de remercier et, regardant bien droit dans les yeux, me dit qu’il va essayer de passer les week-ends, juste pour nous voir. Je rentre à la maison, c’est l’heure du chapelet. Et je ne sais pas quoi dire, ni quoi penser mais il me semble que quelque chose s’est passé. C’est un drôle de miracle que l’amitié.

Et je repense à Elvira, à son appartement perché au sommet de cette tour du centre touristique de La Havane. Sa vue merveilleuse sur la mer et la peinture écaillée de ses murs. Ce n’est pas le grand luxe et elle n’est pas une fée du logis. Mais avec quel empressement elle nous reçoit, cette petite femme toute menue. Avec quelle insistance elle a réclamé notre visite dans cet appartement dans lequel elle vit seule depuis que sa compagne est décédée. Et avec quelle exactitude elle se souvient de notre première rencontre au hasard d’un déjeuner chez Hermanita Rosetta. Elvira a des crises d’angoisse et la socialisation avec des personnes inconnues n’est pas chose aisée pour elle. Elle nous accueille avec des « Je me sens un peu angoissée ». Puis au cours du déjeuner elle se détend, s’anime, se met à raconter mille histoires, à partager ses réflexions. Hospitalité, amour, confiance : j’ai l’impression d’avoir reçu beaucoup plus que je n’ai donné au cours de cette après-midi. Est-ce là que se situe l’amitié ? Dans l’impression d’être toujours redevable à l’autre de son accueil, de l’ouverture de son cœur, de sa confiance ?

Plusieurs d’entre vous me demandent ce que je fais de mes journées. Et, bataillant avec l’Internet, je tente d’expliquer que ce que nous essayons de faire ici c’est de construire, de consolider et d’entretenir des amitiés. Brindille après brindille. Pierre après pierre. À quoi bon s’apprivoiser, demande le Petit Prince, si c’est pour pleurer quand vient l’heure de partir ? Parce que les choses n’ont pas la même couleur lorsqu’elles rappellent une amitié, répond le Renard. Nous voilà donc bâtisseurs d’amitié – comme d’autres reconstruisent des cathédrales. Comme d’autres se retroussent les manches pour se faire artisans de paix. La bonne nouvelle c’est que, paraît-il, tous ceux-là seront appelés fils de Dieu…