Ségolène, Chili

La culture de l'amitié

Ségolene découvre qu’une simple rencontre, un simple moment de gratuité ravive cette soif si profonde d’une présence que les chiliens ont enfoui sous toute une couche d’excuses, de persuasion, de travail effréné.

Ces derniers mois, j’ai été frappée par la solitude des habitants de notre quartier. Par timidité et par méfiance, beaucoup s’enferment chez eux et ne reçoivent pas d’autres visites que celles de leur famille, une fois de temps en temps, c’est-à-dire très rarement pour la plupart. Le leitmotiv « Je préfère être seul, je n’ai besoin de personne. J’ai besoin de paix pour me reposer, je n’ai pas le temps d’avoir des amis, les gens sont mauvais autour de moi. » est devenue une routine. Régulièrement, me revient en tête cette phrase de Don Luigi Giussani : « Rien n’est plus trompeur que la volonté de rester seul ou d’être seul. ». Et de fait, souvent, la simple gratuité d’un thé ou d’un café suffit à éclater en mille morceaux cette fausse conviction qui s‘est érigée d’années en années.

Récemment, une nouvelle amie, Heidy, est venue dîner chez nous. Cela fait vingt ans qu’elle vit dans notre petit quartier de Valparaiso et pourtant, c’était la première fois qu’elle entrait dans une autre maison que la sienne. De même, nous étions les premiers, en dehors de sa famille, à entrer chez elle. De fait, elle vit dans une grande méfiance des personnes de notre quartier et, pour protéger ses enfants des mauvaises fréquentations et de la drogue, elle a préféré s’enfermer. Pourtant, elle s’est laissée surprendre par notre visite et elle-même s’étonnait : « Je ne sais pas pourquoi, je vous ai ouvert si facilement. Vous êtes des anges que Dieu a mis sur ma route. Vous ne venez pas pour les ragots. Vous venez simplement pour discuter avec moi, pour m’écouter, poser des questions et me raconter qui vous êtes, parler de votre vie. Vous ne cherchez aucun intérêt à notre amitié. Vous venez gratuitement, pour jouer avec mon fils. Je ne connaissais pas cela. ». Quelques semaines plus tard, c’est à chaudes larmes qu’elle disait au revoir à Josué et Gosia, ses nouveaux amis, qui terminaient leur mission. Plus notre amitié grandit avec elle et son mari Eduardo, plus nous voyons leur famille s’ouvrir sur le monde qui les entoure, la maison ouvrir ses portes. C’est très frappant de voir comme un premier pas a brisé la forteresse qu’ils avaient érigée depuis des années.

Le lendemain, lorsque nous parlions avec deux amis de cette rencontre, Cristian nous a répondu : « Mais c’était ça ma vie avant de vous connaître. Je me levais tôt pour aller travailler toute la journée pour essayer de rembourser ma dette pour l’achat de ma voiture. Le soir, je rentrais pour boire une bière et me coucher car le lendemain je devais travailler. J’ai perdu tous mes amis et, finalement, je me suis auto-convaincu que c’était ce qui me convenait. Maintenant je me rends compte que m’arrêter deux heures plus tôt pour venir dîner chez vous, ça n’a pas de prix. » Et sa sœur, Valesca, d’ajouter : « Je pensais que c’était être seule qui me rendait heureuse. ». Pourtant, je ne saurai vous décrire le visage de Cristian qui, après une journée dans sa voiture, ressort sa passion enfouie dans un coin de sa vie pour jouer un duo de guitare avec Felipe. Nous contemplons ainsi l’amitié qui permet à la vie de rejaillir. Aujourd’hui, ni Cristian, ni Vale n’hésitent à perdre une demi-journée de travail pour venir fêter un anniversaire, un déjeuner ou une despedida de l’un de nous. Pourtant, nous connaissons le sacrifice financier que cela représente pour eux.

Peu à peu, mes amis me font découvrir un nouveau visage de ma mission au Chili : l’essentiel de cette « contre-culture de l’amitié ». L’indifférence et la solitude sont tellement ancrées, que la plupart de nos amis ont enfoui ce désir d’amitié sous toute une couche d’excuses, de persuasion, de travail effréné. Pourtant, je découvre qu’une simple rencontre, un simple moment de gratuité ravive cette soif si profonde d’une présence.