Inès, Grèce

Irena et sa famille

Inès nous partage les derniers mois de la vie de Tadeus, l’accompagnement de sa famille, le bien fondé de se manifester dans de tels moments, la présence ayant bien plus de poids que les mots.

Au cours de ces derniers mois, nous avons aussi accompagné la famille de Tadeus, Irena et Basia, une famille polonaise qui avait particulièrement besoin de nous. Tadeus était atteint très gravement d’un cancer de l’estomac depuis quelques mois. Il était devenu totalement dépendant, tant il était faible. Il ne pouvait plus ni marcher, ni s’habiller, ni se laver seul. Il était d’une maigreur à faire peur et Irena sa femme devait s’occuper de lui en plus de Basia, leur fille, de dix-sept ans, tétraplégique et totalement dépendante également. Irena devait, en plus, amener très régulièrement son mari à l’hôpital et nous confiait alors Basia.

Nous avons passé des heures et des heures à promener Basia dans son fauteuil roulant, en passant par les rues les plus bruyantes que possible car, pour une raison qui m’échappe, le bruit des motos, des ambulances et des marteaux piqueurs semblent particulièrement la ravir. Nous avons essayé de la faire rire car son rire est extrêmement communicatif et nous finissions toutes en fous rires. Et surtout, nous avons fait tout notre possible pour éviter qu’elle pleure car, quand elle pleure, je pense que tout le quartier est au courant tant elle crie fort. Nous avons chanté des karaokés et regardé en boucle les vidéos qu’elle adore pour voir son si beau sourire illuminer son visage. Nous avons bien essayé d’ajouter les vidéos de Louis de Funès dans son répertoire, mais rien à faire, Basia sait ce qu’elle aime et elle préférait largement regarder des vidéos de trains qui passent… Nous avons passé tellement de temps avec elle, qu’au bout d’un moment elle est devenue un peu comme une nouvelle sœur de communauté !

Puis, l’état de Tadeus s’est dégradé, devenant critique. Nous avons accompagné Irena dans cette période particulièrement difficile, en nous relayant pratiquement 24h/24 auprès d’elle. Le 23 novembre à 6h du matin, Tadeus est décédé dans leur maison. Je suis allée visiter Irena ce matin-là avec Alina, ma sœur de communauté. Quelques-uns des amis d’Irena étaient venus nous relayer pendant la nuit. Nous avons passé un long moment avec elle auprès du corps de son mari, dans le silence. Je me souviendrai toujours de ce moment. Irena pleurait et je ne savais pas quoi dire, ni quoi faire, je me sentais parfaitement inutile et impuissante face à cette tristesse. Puis Alina a simplement posé sa main sur l’épaule d’Irena et dans le silence nous avons pleuré ensemble. Au bout d’une bonne quinzaine de minutes, Irena s’est tournée vers nous et, dans son regard, j’ai lu une profonde reconnaissance. Ce moment si particulier nous a liées à Irena beaucoup plus profondément. Je ne la connais pas si bien, j’ai du mal à vraiment parler avec elle en grec, mais ce moment si intime et si personnel a créé un lien très fort dans notre relation. J’ai beaucoup mieux compris l’importance de ne pas toujours chercher à dire ou à faire quelque chose pour la personne, mais simplement être avec elle et partager ses souffrances. Et, quand Irena nous a remercié deux jours après en nous prenant dans ses bras, j’ai compris à quel point notre présence et ce moment partagé avec elle avait du prix à ses yeux.