Hugues, Sénégal

As-tu vu mon plongeon ?

Le camp de Mar Lodj fut l’occasion pour Hugues de connaître davantage certains enfants qu’il ne fait que croiser dans le quartier de Grand-Yoff. Franc est l’un d’entre eux.

Franc, François de son vrai prénom, est un petit garçon pressé qui n’a de cesse de passer d’un jeu à l’autre. A huit ans, Franc semble souvent dans son monde et ses pensées. Un monde parfois hermétique mais qui a l’air palpitant et dans lequel il se passe toujours quelque chose, poussant certainement le jeune Franc à vivre en accéléré.

Je me souviendrai de ce déjeuner passé à côté de lui. Nous étions six personnes autour du bol commun deceeb bu jen (riz au poisson). Franc mangeait comme un vorace, toujours à une allure frénétique. Le temps pres- sait, bien qu’il ne connaisse pas le programme de l’après-midi.

Dans ce grand bol commun où chacun mange devant soi, Franc faisait des allers- retours entre son espace et celui des autres, notamment le mien. Une partie du bol était très épicée à cause du piment. Malheureusement, dans son empressement, Franc prit de grandes cuillères de ce riz pimenté. Toujours sans parler, il s’arrêta de manger, se mit à souffler fort avant de chercher du regard un peu d’eau qui pourrait l’apaiser. On lui servit un verre, mais le feu du piment était encore là. Franc nous communiqua son besoin d’aide par le regard. Que faire ? Il avait la bouche en feu et à part rigoler, il est vrai que nous ne l’aidions pas beaucoup. On lui conseilla de manger du riz blanc et surtout de patienter car c’est le remède le plus sûr. Franc devait donc quitter son monde à l’horloge frénétique et patienter dans la douleur du piment et de l’attente. Une leçon de patience pour notre Franc toujours pressé.

Mais Franc reste un enfant et, bien qu’il ait son monde et son allure, il a le désir naturel d’attention et d’affection qu’a chaque enfant. Lors de la première baignade à Mar Lodj, il me demandait de le regarder faire des plongeons alors qu’il avait de l’eau jusqu’aux genoux. Ses plongeons consistaient essentiellement à se jeter en avant dans l’eau. Chaque fois Franc me disait : « Regarde ! » et chaque fois qu’il ressortait la tête de l’eau il me disait : « Tu as vu ? ». Je lui disais que oui, j’avais regardé et qu’il faisait ça bien ! Franc demandait l’attention d’un aîné, absent lors d’après-midis entières à jouer dans la rue sans adultes.

Notre présence dans ce quartier avec ces enfants prenait tout son sens à chaque fois qu’un de ces petits nous demandait explicitement notre attention. Eux, qui peuvent être si responsables et à la fois si durs entre eux lorsqu’ils sont dans la rue, nous saluant d’une poignée de main froide, sans conviction certains jours, une fois à Mar Lodj, nous demandaient de les regarder pour les moindres faits et gestes.